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Santé financière des entreprises : « Pour donner confiance, il faut se recapitaliser »

Transport - Route
27/10/2023
Le remboursement des PGE et des échéances sociales fragilisent les TPE-PME du transport routier, d’autant que les délais de paiement fournisseurs se dégradent : ce double phénomène, constaté par le baromètre annuel 2023 du cabinet ARC (1), devrait, selon Denis Le Bossé, président du spécialiste du recouvrement de créances, inciter les dirigeants de TPE/PME du transport à recapitaliser leur entreprise.
Bulletin des transports et de la Logistique : Les délais de paiement sont fixés à 30 jours dans le transport routier. Ce n’est pas un avantage ?
Denis Le Bossé : C’est vrai, mais il faut toutefois assurer le fonctionnement de l’activité. Une entreprise qui a contracté un Prêt garanti par l’État (PGE) pendant la pandémie est obligée d’acquitter les échéances afférentes. Si elle ne peut pas le faire, elle n’obtiendra pas de nouveaux financements auprès de ses banques. Parmi les charges courantes, en dehors des salaires, il y a le rattrapage sur les moratoires obtenus auprès de l’Urssaf et du Trésor public. Nous sommes aujourd’hui dans une phase de remboursement des échelonnements obtenus auprès de ces organismes.

BTL : Au-delà de ces charges courantes à payer, le rattrapage n’assèche-t-il pas aussi les trésoreries ?
D. L. B. : Ce qui n’a pas été payé pendant la pandémie doit l’être aujourd’hui. Même si, dans certains cas, le chômage partiel a pu être instauré, il y a toujours les charges à acquitter. Le constat du baromètre, c’est que les entreprises ne peuvent pas faire face au remboursement de toutes ces charges, cela entraîne donc une augmentation des dépôts de bilan. Ne pas rembourser un PGE dégradera obligatoirement la notation Fiben et la cotation accordée par les assureurs-crédit. Je ne connais pas les chiffres officiels sur le nombre de PGE octroyés au transport routier. Seule certitude, c’est un secteur en tension, d’autant que les volumes transportés se contractent depuis septembre 2023.

BTL : Les délais de paiement se dégradent par rapport à 2022. Est-ce une véritable variable d’ajustement ?
D. L. B. : Le baromètre montre que 83 % des entreprises craignent que les délais de paiement ne le deviennent. C’est ce que nous constatons au quotidien. Pour une TPE/PME qui n’a pas d’accès au crédit bancaire et qui voit son assureur-crédit réduire sa cotation, la seule possibilité qui reste, c’est de décaler les paiements.

BTL : Comment éviter la mise en danger de la santé financière des entreprises ?
D. L. B. : Parmi les solutions existantes les plus efficaces, le baromètre fait état de la dématérialisation des factures (56 %), des amendes plafonnées à 2 M€ ainsi que leur publication systématique (43 %) et de la transmission des attestations de délais de paiement, par le commissaire aux comptes au ministère chargé de l’Économie, pour tous les exercices ouverts depuis 2016 en cas de manquements significatifs (31 %). La création d’une notation des délais de paiement permettrait de connaître les habitudes de règlement d’un futur partenaire, avant de s’engager commercialement (80 %). La dématérialisation des factures, qui sera effective à l’horizon 2026/2027, sera un moyen de noter les délais de paiement. Aujourd’hui, on connaît la solvabilité des entreprises mais on ne sait pas si une entreprise solvable respecte les délais de paiement de ses fournisseurs.  

BTL : Est-ce que les relances téléphoniques des fournisseurs seraient une action efficace dans le transport routier ?
D. L. B. : Beaucoup de TPE et PME dans le transport sont tétanisées à l’idée d’aller réclamer le paiement de leurs factures parce que c’est un secteur très concurrentiel, malgré la loi Gayssot (N.D.L.R. : l’action directe). Elles craignent de perdre des parts de marché. Lorsqu’un débiteur est défaillant et que le transporteur a effectué une multitude de livraisons pour des factures d’un montant de 100 €, il apparaît difficile d’actionner des relances téléphoniques pour recouvrer l’intégralité des factures.

BTL : Existe-t-il malgré tout une tendance positive dans votre baromètre annuel ?
D. L. B. : Fort heureusement, 33 % des chefs d’entreprise prévoient une croissance de leur activité au cours des six prochains mois, un chiffre qui traduit un regain d’optimisme par rapport à 2022. Au fond, l’inquiétude concerne les TPE/PME fragilisées par le manque de fonds propres ; elles n’ont pas accès au financement bancaire car elles n’ont pas remboursé leur PGE. Le problème aujourd’hui, c’est qu’un grand nombre de TPE/PME ne donnent pas suffisamment confiance à leur assureur-crédit et à leurs banques. Les plus petites structures souffrent davantage car elles n’ont pas le pouvoir de négociation sur les achats et n’ont pas accès aux taux de financement ouverts aux grandes entreprises. En outre, 84 % des sociétés interrogées considèrent que l’affacturage est une solution de financement trop coûteuse. Pour les petites entreprises de transport, la marge bénéficiaire va passer dans l’affacturage, ce qui n’est pas rentable pour elles. Une entreprise doit donner confiance à son banquier et à son assureur crédit. Et pour donner confiance, il faut se recapitaliser !

(1) Le cabinet ARC a mené avec l’Ifop une étude sur la perception par les entreprises de leur avenir économique, le financement de leur trésorerie, leurs attentes et l’impact des retards de paiements. Il a concerné 501 entreprises de 50 salariés entre le 24 août et le 15 septembre 2023.

Propos recueillis par Louis Guarino
Bulletin des Transports et de la Logistique n° 3946, 30 octobre 2023
Source : Actualités du droit