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Entretien des infrastructures : « les gros rouleurs doivent financer la route » pour le président de la commission « Mobilités » de l’ADF

Transport - Route
18/09/2023
Quitte à se mettre la profession à dos, le président de la commission « Mobilités » de l’ADF, François Durovray (LR, Essonne), soutient la mise en place d’une écotaxe PL, qui permettrait de faire payer pour leur usage des routes les camions n’achetant pas de gazole en France. Il milite aussi pour la taxation des véhicules électriques et plébiscite l’organisation d’Assises de la route.
Bulletin des transports : L’économiste des transports Yves Crozet vient de vous remettre l’étude que vous lui avez commandée (voir BTL n° 3939, p. 499). Quelle est votre réaction à sa lecture ?
François Durovray : C’est une commande de l’Assemblée des départements de France (ADF) dont j’assure la présidence de la commission « Mobilités ». Les conseils départementaux gèrent 378 693 km de routes ; les nationales et les autoroutes représentent 40 % et le solde relève des routes communales. Seul bémol, les départements ne perçoivent aucune recette dédiée. Ils ont même été exclus du paysage fiscal : la vignette automobile a été supprimée en 1998, le produit des cartes grises est fléché en direction des régions et l’écotaxe PL a été abandonnée en 2014. Nous avons demandé à Yves Crozet d’élargir les sujets possibles de financement de la route à court et moyen terme.

BTL : Valide-t-il vos propres constats ?
F. D. : Il démontre que les départements ont perdu des recettes alors que la route est toujours aussi fortement taxée par l’État. Reste que ces derniers ne récoltent qu’une faible part des recettes fléchées vers l’AFIT. En réalité, nous avons une fenêtre d’opportunités inhérentes à la fin des contrats de concessions autoroutières en 2030. Sans compter que la TICPE va baisser, compte tenu de l’électrification des véhicules.

BTL : Quelles préconisations vous paraissent-elles pertinentes ?
F. D. : À l’instar de la taxe PL alsacienne, je suis favorable à l’ouverture donnée aux maîtres d’ouvrage d’instaurer des péages PL sur les routes départementales. Dans le département de l’Essonne que je préside, la nationale 20 enregistre par exemple un trafic PL de 20 %, en raison du péage de l’autoroute A10. Je milite en faveur d’un péage PL sur cette nationale, à condition que cela soit à la main du maître d’ouvrage.
La loi permet la mise en place d’une écotaxe régionale uniquement pour la collectivité européenne d’Alsace. Or, les régions ne sont pas maîtres d’ouvrage en la matière. L’État a ouvert la porte des écotaxes à des exécutifs qui n’ont aucune légitimité pour ce faire. Ce n’est pas un gros mot de dire que la route a besoin de financements importants. 99 % des recettes bénéficient aujourd’hui à 1 % du réseau. Il serait bon que demain, 100 % des recettes bénéficient à 100 % du réseau.

BTL : La taxation des véhicules électriques est-elle inévitable ?
F. D. : La TICPE rapporte 32 Md€ à l’État, la TVA sur la TICPE 6 Md€, je vois mal la puissance publique s’asseoir sur ces sommes. Dans vingt ans, cette recette fiscale va se tarir compte tenu de la disparition annoncée de l’énergie fossile. Les hauts fonctionnaires de Bercy planchent déjà sur la taxation des véhicules électriques. Cette énergie protégera demain les usagers de l’évolution des cours du pétrole ; la circulation décarbonée coûtera moins cher que la circulation carbonée. En outre, il ne serait pas absurde qu’une partie de la Contribution au service public de l’électricité (CSPE), laquelle rapporte chaque année 8 Md€ de recettes à l’État, puisse aussi revenir à la route (1).

BTL : Où en est-on du transfert des routes nationales et des autoroutes aux départements, prévu dans la loi « 3DS » ?
F. D. : C’est un véritable naufrage d’un point du vue technique et financier. L’État a demandé aux départements de reprendre des routes sans leur dire l’ampleur des travaux à réaliser. À date, sur les 17 départements qui ont manifesté leur intérêt, plusieurs ont abandonné. Sur un réseau de 15 000 km transférables, les départements et les régions ont candidaté pour 3 500 km. Trois régions se sont positionnées, dont le Grand Est. Clément Beaune partage ce constat d’échec avec l’ensemble des acteurs concernés ; il va bien falloir remettre le métier sur l’ouvrage.

BTL : Au fond, soutenez-vous la thèse d’Yves Crozet selon laquelle il faut « faire entrer les plus gros rouleurs dans une logique de bien commun » ?
F. D. : Je partage d’autant plus sa thèse que le gouvernement a abandonné l’écotaxe en contrepartie d’une majoration de la TICPE. Les vrais gagnants de cet abandon sont les poids lourds étrangers. Lesquels traversent la France, empruntent nos infrastructures sans en acquitter le prix, tout en faisant le plein au Luxembourg. Il est normal que les plus gros rouleurs financent la route.
Reste que je n’attends pas de mesures concrètes dans le cadre du projet de loi de finances 2024, ce n’est pas la bonne temporalité.  J’attends des Assises de la route qui réunissent l’État, les départements, les métropoles et les communes, avec les sociétés concessionnaires d’autoroute. L’important est de garantir un modèle pérenne de financement de la route avant la fin du quinquennat.

(1) La CSPE est une taxe sur l’électricité payée par les entreprises, les collectivités et les particuliers. C’est une taxe perçue pour le compte des Douanes et désormais intégrée au budget de l’État. Elle sert à abonder le compte d’affectation spéciale « transition énergétique » (CAS TE), aux côtés de la Taxe Intérieure de Consommation sur le gaz naturel (TICGN), de la Taxe intérieure sur les houilles, lignites et cokes (TICC) et de la TICPE. 

Propos recueillis par Louis Guarino
Source : Actualités du droit