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Fret fluvial : « Fluidifier la chaîne logistique »

Transport - Mer/voies navigables
12/01/2024
Lionel Rouillon, directeur du développement chez Voies Navigables de France (VNF), dresse un bilan contrasté du fret fluvial et de la logistique multimodale. Il déplore un morcellement des modes de transport massifiés qui obère la fluidité et la compétitivité de la chaîne logistique française.
Bulletin des transports : En décembre, le salon Riverdating a attiré à Lille les acteurs du transport fluvial en Europe. Quel bilan en tirez-vous ?
Lionel Rouillon : Depuis sa création en 2009, le salon Riverdating est devenu progressivement l’espace de rencontre annuelle des chargeurs faisant du fluvial et des transporteurs. Aujourd’hui, il fédère l’écosystème de la logistique fluviale sans se limiter à des opportunités de business transport.

BTL : Quel est votre rôle concret dans ce type d’évènement ?
L.R. : Lorsqu’un chargeur vient me consulter pour imaginer comment il peut acheminer des colis exceptionnels, entre 60 à 70 t, pour livrer son client final énergéticien alors que le mode routier n’est pas pertinent, mon rôle consiste à évaluer sa demande et à mettre en œuvre une solution logistique. Cela veut dire réunir un commissionnaire de transport et un port intérieur pour que ces deux opérateurs puissent échanger avec le chargeur. Si le port intérieur ou le commissionnaire ne sont pas présents dans la discussion, aucun « deal » ne peut  se faire.  

BTL : Comment s’intègrent aujourd’hui les chaînes d’approvisionnement dans la logistique fluvio-maritime ?
L.R. : Nous sommes en plein paradoxe. L’enseignement tiré du développement des ports d’Anvers et de Rotterdam démontre qu’un port maritime se développe s’il a la capacité de gérer un flux croissant de marchandises, lequel va générer un niveau d’investissements importants. Ce modèle intéresse d’emblée les opérateurs capables de fournir des services logistiques pour bénéficier de la proximité du flux. La valeur ajoutée ainsi créée incite les industriels à se rapprocher du flux. À condition de disposer d’une force commerciale et de tarifs compétitifs assortis de services logistiques performants. Ce modèle devrait donc favoriser les modes massifiés par la voie ferroviaire ou fluviale. Or, la France n’a pas une forte concentration de sa chaîne logistique avec de gros intégrateurs logisticiens ; nos modes de transport massifiés sont relativement morcelés.

BTL : Comment faire pour y remédier ?  
L.R. : Il est impératif de fluidifier la chaîne logistique en faisant en sorte que les acteurs se parlent et que l’infrastructure soit bien connectée. Les ports maritimes et les ports intérieurs doivent être interconnectés pour assurer un suivi de trafic fluide, avec des réserves foncières sur les ports intérieurs pour attirer les industriels et créer des services logistiques. L’objectif est donc d’attirer les commissionnaires de transport pour qu’ils intègrent l’ensemble des opérations dans une offre « clé en main » avec le client. Nous n’y sommes pas encore parvenus même si des pas de géants ont pu être accomplis avec le nouveau programme de Certificats d’économies d’énergie (CEE) ReMoVe (1). Ce programme de soutien au report modal permet de prendre en charge tout ou partie de la rupture de charge pendant 24 mois et de monter en gamme.

BTL : Les dommages collatéraux de la pandémie persistent-ils ?
L.R. : Un élément conjoncturel lié à la pandémie est toujours présent : la pénurie de conteneurs consécutive à une demande mondiale qui a explosé sur certains biens de consommation, notamment électronique. Des stockages ont certes été réalisés mais les marchandises n’ont pas été complètement écoulées. Cet effondrement du marché vient percuter nos objectifs de croissance. Sans compter la pause sur le chantier du Grand Paris pour évacuer les déchets du BTP et une mauvaise récolte céréalière en 2023 : n’oublions pas que le fret fluvial est dépendant du BTP, qui pèse 30 % du trafic en volume, comme des céréales, qui en représentent 25 %. Résultat, nous anticipons une baisse globale des volumes en 2023 malgré les efforts structurels pour fluidifier la chaîne logistique.

BTL : Au fond, les  ports français auront-ils les moyens de « booster » la  logistique fluviale en 2024 ?
L.R. : Le port de Dunkerque a pris de l’avance sur les autres ports (Haropa, Marseille-Fos) même si un désavantage relatif à la tarification des conteneurs demeure. Le fait de poser un conteneur à quai, puis le reprendre pour le transborder sur une barge nécessite un plus grand nombre d’opérations que de transborder un conteneur sur une remorque. Les frais de manutention des marchandises facturés par les armateurs sont plus élevés pour les barges fluviales que pour le mode routier, le delta oscille entre 20 et 30 €. En parallèle, il ne faut pas négliger les questions d’infrastructure. À Dunkerque, le lien entre le mode fluvial et l’infrastructure est bien assuré, il n’y a pas de perte de compétitivité d’un mode à l’autre. En revanche, au Havre, il faudra encore attendre la fin des travaux de la future chatière (2) pour que les barges puissent être à quai sans avoir un transit time supplémentaire entre le lieu de déchargement et le lieu de récupération des marchandises. À Marseille-Fos en revanche, on ne peut pas disposer deux transocéaniques en même temps sur les terminaux ; il faut attendre qu’un navire soit parti pour pouvoir placer les barges à quai ; la compétitivité est donc loin d’être satisfaisante pour les conteneurs.

(1) Report Modal et Verdissement des flottes de transport massifiés. Lancé en décembre 2022, avec près de 19 M€ mobilisés en faveur du fluvial sur une enveloppe globale de 38 M€ prévue jusqu’en 2026. (2) La future chatière du port de Havre (une digue de 2 km) doit développer le trafic de conteneurs en créant un accès fluvial protégé entre le port historique du Havre et Port 2000.

Propos recueillis par Louis Guarino
Publié au Bulletin des Transports et de la Logistique n° 3956 (15 janvier 2024)
Source : Actualités du droit