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Faire évoluer le droit pour mieux protéger les femmes

Pénal - Droit pénal spécial, Droit pénal général
07/06/2016
 
Après avoir constaté que les violences sur les femmes sont devenues un des enjeux du débat social, juridique, politique, la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) dresse un panorama et analyse ce type de violences de genre. Elle s'interroge également sur la pertinence de la reconnaissance de la notion de "féminicide" et sur l'évolution des critères de la légitime défense. Elle plaide enfin en faveur de la consolidation des mesures de protection et d’accompagnement des victimes de violences de genre.
Selon la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH), les violences commises à l'encontre des femmes sont l’une des formes de violation les plus systématiques et les plus répandues des droits de l’homme. Elles ne s’expriment pas seulement dans des actes individuels et isolés, mais s’ancrent dans des structures sociales sexistes.

Les violences de genre : panorama et analyse

Outre la multiplicité de ses formes (psychologique, verbale, physique ou sexuelle et sociale), le phénomène des violences contre les femmes est "incontestable et massif" : chaque année une femme sur dix est victime de violences, quelle que soit la forme que puisse prendre cette violence (psychologique, verbale, physique ou sexuelle) et une sur trois au cours de sa vie. En 2014, 554 000 femmes ont été victimes de violences physiques ou sexuelles (soit 2,5 % de la population féminine française), parmi elles 84 000 ont été victimes de viols ou de tentatives de viols. Parmi les agresseurs, 90 % sont des personnes connues des victimes et 37 % sont leur conjoint. Seule une victime sur dix porte plainte.
La nécessité de disposer de données quantitatives et qualitatives concernant les violences faites aux femmes étant un préalable indispensable à l’action publique, la CNCDH encourage donc les pouvoirs publics à favoriser la réalisation de travaux de recherches sur les violences de genre (leur ampleur, leurs diverses formes et manifestations, leurs conséquences sociales et économiques…).
 

Plaidoyer pour l’introduction de la notion de « féminicide » ?

Depuis quelques années, les termes de « fémicide » ou « féminicide » sont utilisés dans les instances internationales ou régionales pour qualifier les meurtres de femmes et mieux prendre en compte la spécificité des meurtres dont sont victimes les femmes. Pour l’Organisation mondiale de la santé (OMS) le féminicide se définit comme le meurtre de filles ou de femmes au simple motif qu’elles sont des femmes. Il s’agit donc d’un meurtre individuel ou collectif à raison du genre. L’OMS propose une catégorisation des féminicides en quatre types : intime, familial, communautaire et sociétal.
 
Après avoir rappelé la prise en compte de ce concept sur la scène internationale, la CNCDH s’interroge sur le point de savoir s’il convient de modifier le code pénal français, pour y introduire le terme de « féminicide » ou s’il convient seulement de reconnaître qu’un meurtre commis en raison du genre de la victime est sanctionné au titre des circonstances aggravantes.
 
La consécration normative de ce concept ne semble pas opportune à la Commission, dans la mesure où elle comporterait le risque de porter atteinte à l’universalisme du droit et pourrait méconnaître le principe d’égalité de tous devant la loi pénale. La Commission estime néanmoins que l’usage du terme « féminicide » doit être encouragé, à la fois sur la scène internationale dans le langage diplomatique français, mais aussi dans le vocabulaire courant, en particulier dans les médias, afin de ne pas les banaliser et de ne les présenter que comme de simples faits divers ou altercations conjugales.

État des lieux du dispositif actuel

La Commission dresse également un rapide état des lieux des dispositions pénales actuelles visant, expressément ou implicitement, les infractions et notamment les meurtres dont les femmes sont spécifiquement victimes. Elle déplore néanmoins que ces dispositions, si elles sanctionnent de facto les violences commises à l’encontre des femmes, restent cantonnées au champ des violences au sein du couple et qu’elles sont, de surcroit, peu ou mal appliquées.

Aussi la CNCDH préconise-t-elle de modifier l’article 221-4, 7° du Code pénal, en le rédigeant de la manière suivante : « à raison du sexe, de l’orientation sexuelle ou de l’identité de genre de la victime ». L’introduction d’une telle circonstance aggravante ne saurait en effet méconnaître le principe d’égalité entre les femmes et les hommes, dès lors qu’elle ne viserait pas l’identité de la victime, mais la motivation sexiste de l’auteur des faits.
 
La CNCDH recommande que l’examen de la proposition de loi visant à aménager le délai de prescription pénale tienne compte, s’agissant des actes de harcèlement sexuel, de la spécificité de la relation de domination qui existe entre la victime et l’auteur. Elle invite également l’autorité judiciaire à ne pas avoir recours à la procédure de correctionnalisation en opportunité pour les crimes sexuels ou sexistes. 

Vers une cause spécifique d’irresponsabilité pénale ?

La question s’est également posée d’envisager une modification des critères de la légitime défense (C. pén., art. 122-5). La CNCDH rappelle que la vie est une valeur fondamentale, et que les justifications de l’atteinte à la vie doivent être strictement limitées et précisément encadrées par la loi. Aussi, la Commission n’est pas favorable à l’instauration de présomption en matière de légitime défense et, a fortiori, de légitime défense différée.
 
La CNCDH serait en revanche favorable à la modification des critères juridiques de la contrainte (C. pén., art. 122-7). Il s’agirait de considérer que les victimes de violences domestiques, placées sous le coup de la terreur conjugale, sont dans une situation de sujétion psychologique et d’extrême dépendance rendant périlleux le fait de briser la spirale de domination.

Améliorer le soutien institutionnel aux victimes de violences de genre

Enfin, la CNCDH se positionne sur les mesures de protection et d’accompagnement des victimes de violences de genre. Elle souligner les réelles avancées réalisées en France ces dernières années pour mieux prendre en compte et lutter contre les violences à l’encontre des femmes, notamment avec les lois du 9 juillet 2010 (L. n° 2010-769, JO 10 juill.) et du 4 août 2014 (L. n° 2014-873, JO 5 août).
 
Il n’en reste pas moins nécessaire de maintenir une vigilance constante, de consolider les progrès réalisés et même d’adapter ou de modifier certaines dispositions. Il s’agirait notamment :
  • de renforcer la coordination des acteurs, par le déploiement de politiques de juridiction volontaristes, accompagnée de la diffusion d’une nouvelle circulaire de politique pénale ;
  • de mieux prendre en charge les enfants exposés à des violences intrafamiliales ;
  • de prendre spécifiquement en charge les auteurs de violences contre les femmes.
Dans la perspective de mieux soutenir les victimes, la CNCDH recommande également de compléter le dispositif protecteur des victimes de violences conjugales de nationalité étrangère pour appréhender toutes les situations de précarité administrative dans lesquelles ces personnes peuvent basculer en raison de violences commises au sein du couple et de modifier la loi du 6 juillet 1989 sur les rapports locatifs (L. n° 89-462, JO 6 juill., art. 15), afin d’inclure les hypothèses de violences domestiques. Elle invite aussi le législateur à réfléchir à l’aménagement du régime de solidarité des dettes en cas de violences conjugales.

Enfin, la CNCDH relève l’importance de la prévention de ce type de violences, dans laquelle l’Éducation nationale joue un rôle essentiel, ainsi que la nécessité d'œuvrer à la sensibilisation de l’opinion publique, via, notamment, la poursuite des campagnes d’information.
Source : Actualités du droit